[entretien: Martin Winckler]
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En ce moment on parle de l'éventuelle privatisation de France 2. France 3 en revanche on y pense pas, c'est la vraie chaîne “nationale”. Est-ce que ça signifie que le service public doive être médiocre ?
Non. France 3, avec ses antennes locales, a bien cette vocation de donner des informations de proximité, c'est cela son caractère national. Mais on peut très bien avoir d'autres chaînes nationales avec des vocations différentes. La BBC en Angleterre a trois chaînes nationales. En ce qui concerne France 5 et Arte, ce sont des chaînes un peu “bâtardes”. On peut en revanche avoir différentes chaînes nationales avec des missions bien définies. Pour le moment on est dans le faux audimat. TF1 a une politique très différente du service public qui lui n'est pas destiné à être rentable.

Vous prôneriez la disparition de la publicité dans le service public ?
Non, la pub ne me gêne pas. Ce qui me gêne c'est que le service public, puisqu'il y a de la pub, se croit obligé de faire des productions qui ressemblent à TF1.
Arte a fait de très bonnes fictions, L'an 2000 vu par…, gauche/droite, Ressources humaines… Elles étaient des passerelles avec le monde du cinéma. Ce qui est drôle c'est que certaines de ces fictions sont sorties en salles puis diffusées ensuite sur France 2 !
Je ne connais pas les arcanes de la profession… Ce que je crois c'est que personne dans les grandes chaînes hertziennes en France ne croit qu'il puisse y avoir à la télé des productions artistiques de qualité. On présuppose même de façon plus ou moins inconsciente que si c'est de la télé c'est forcément de la merde.

Ne trouvez vous pas qu'il serait intéressant qu'il y ait justement des débats critiques sur les séries télé de la même façon que cela se fait pour le cinéma?
Oui, bien sûr, ou comme cela se fait en littérature. Malheureusement tout est beaucoup trop consensuel ou promotionnel à la télévision. Dans les années 80 en France il y avait du débat : Droit de réponse. On a contesté, on a dit que c'était un pugilat. Pourtant le débat fait partie de la vie, il n'est pas non plus nécessairement déballage. Ce qui est insupportable à la télévision française c'est que toutes les émissions qui parlent de télévision ou de culture en générale sont totalement consensuelles.

…Les “rois du télé-achat” !
Oui, exactement, c'est une forme de télé-achat ! En fait la télévision est en tant que médium plus proche de la radio ou du théâtre que du cinéma. Devant mon poste avec toutes mes chaînes je me sens plus comme dans un kiosque à journaux avec 200 magazines. Il est évident que je ne vais pas les lire tous. Parmi ceux-ci j'en achète trois ou quatre. Dans ceux que j'ai acheté je ne vais même pas tout lire. La consommation de la télé est plus proche de celle d'un magazine que de celle d'un film ou d'un livre. Ceux-ci se regardent ou se lisent intégralement, on ne se dit pas je vais lire le chapitre 14, regarder la séquence 27. La télé est aussi proche de l'Internet. On ne grappille pas (même si le zapping est proche du simple grappillage), on choisit ce qu'on veut voir ou consulter.

Justement, les séries ont connu plusieurs supports, les journaux, la radio, la télé et maintenant que faire avec Internet ? Est ce que vous pensez que cela peut être un support pour des séries comme ont essayé de le faire Tim Burton ou David Lynch?
Tout est possible. A mon avis il y aura de plus en plus d'interconnexion entre Internet et la télévision. Mais il me semble que si ce sont des séries sur le net c'est que l'ordinateur devient une télé. Je ne vois pas très bien ce qu'il peut y avoir de spécifique. La spécificité de l'Internet c'est l'interactivité sans obligations. Si on met des programmes qui deviennent obligatoires c'est comme la télé. L'intérêt d'Internet c'est qu'il constitue une immense base de données mondiale accessible à tout moment.
Enfin, regarder une série télé ce n'est pas la même chose que d'être assis devant mon écran à écrire, à surfer. Toutes ces choses ne se font pas en même temps, elles m'apportent des plaisirs différents. Je ne vois pas ce que ça apporterait que je regarde mes séries télé sur Internet. On peut trouver un intérêt avec le haut-débit, connecté à une banque de données, regarder une série qui n'est pas diffusée à la télé. Vu comme ça, Internet est un complément.

Comment considérez-vous la télé dans son ensemble aujourd'hui ?
Jusque dans les années 80, la télé était l'organe du pouvoir, Peyrefitte et compagnie. C'était une télévision de droite et mon père, qui lui était de gauche, me la commentait, m'expliquait en quoi elle était politisée. Aujourd'hui les responsables des chaînes en sont restés à cette vision : les gens sont cons, on doit les éduquer car ils sont trop cons pour s'éduquer tout seul. Mais j'ai grandi, et tout le reste du monde aussi. Je n'aime pas qu'on me prenne pour un con.
Ce n'est d'ailleurs pas spécifique à la télé, c'est représentatif d'une politique culturelle plus générale.
Absolument. La télé n'est qu'un symptôme. Ceci dit, les musées, le cinéma, la littérature sont très valorisés mais la télé… C'est d'une perversion extraordinaire : il faut éduquer les masses et si les masses regardent ce qu'on leur donne c'est qu'elles sont capables de ne regarder que ça… Les décideurs ne sont là que pour le pouvoir, pas pour la création artistique. On m'a proposé de faire une soirée Thema pour Arte sur les séries américaines. Elle serait organisée de la façon suivante : un premier documentaire sur les séries qui serait historique et accompagné d'exemples, un second documentaire qui serait le suivi du processus de fabrication d'un épisode d'une série phare aux États-Unis (depuis l'écriture du scénario jusqu'à la diffusion de l'épisode) et puis en troisième partie l'épisode en question. Pour tout ça j'ai des pistes, des contacts, je connais des gens qui seraient ravis d'être filmé dans leur travail par une équipe de 3 ou 4 français. Autre avantage : ces deux documentaires, s'ils sont faits correctement, se vendront dans le monde entier. J'ai déjà eu l'idée de faire quelque chose de similaire, il y a quatre ou cinq ans, sur les coulisses d'Urgences. Je suis médecin, écrivain, connaisseur des séries télé, parlant l'anglais couramment, je connais les gens qu'il faut rencontrer et Urgences cartonnait sur France 2. Les responsables des programmes ont considéré le projet et nous ont dit qu'il n'avait aucun intérêt. S'ils étaient des créatifs ils auraient vu tout de suite l'intérêt de ce projet, ils y auraient déjà pensé, ils seraient venus chercher des gens…

Vous avez des souvenirs de Médecins de nuit, série française du début des années 80 ?
Oui, c'était pas mal mais un peu plan-plan. Alors là je pense que c'est surtout un manque de moyens, en termes de décors, d'acteurs, etc. Il faut savoir aussi que, comme la télé ce n'est pas valorisant, les acteurs sont soit mal payés soit surpayés parce que ce sont des stars. Un budget comme Monte-Cristo c'est 30% Depardieu, 30% Didier Decoin (le scénariste), 30% Josée Dayan et le reste à partager sur l'ensemble de la production (j'exagère). C'est scandaleux parce que ça plombe les productions : Depardieu, Decoin, Dayan... Les trois D.

Comme Dollars !
(rires). Oui comme Dollars. Aux États-Unis il y a des séries formidables avec de bons acteurs mais le centre de la production c'est l'écriture, L'É-CRI-TU-RE.
La semaine dernière je suis allé en tant que journaliste quatre jours à Hollywood pour toutes les séries Disney (dont deux sont diffusées par Téva, Once and Again et Alias). Et j'ai contacté René Balcer, qui produit Law and Order : Criminal Intent (le deuxième “spin-off”[série tirée d’une série n.d.r.]) et que j'avais interviewé il y a quelques années pour Générations Séries. Il me fait livrer six cassettes et des scripts d'épisodes. Je les lis et je me rends compte que pour un épisode de quarante trois minutes il y a quarante quatre scènes ! Et dans chaque scène il peut y avoir plusieurs plans différents ! Alors dans ces conditions c'est normal qu'on ne s'emmerde jamais, que les acteurs soient contents et que ça soit visible etc. Tout ça c'est fait avec quoi ? avec du papier et une machine à écrire.

Mais quand on a justement essayé d'écrire à l'américaine, comme H sur Canal+, on s'est rendu compte que c'était pratiquement pire que des sitcoms à la française !
Le problème c'est que ça ne s'improvise pas. Écrire une sitcom, en plus, c'est ce qu'il y a de plus compliqué, ce n'est pas l'idéal pour commencer. Ils auraient peut-être dû débuter avec une série mixte, une comédie dramatique.

Genre Sex and the city ?
Par exemple, oui. On peut faire rire avec des choses très graves. Je suis allé sur le plateau de Scrubs, c'est une comédie de situation dans le monde médical, l'histoire de l'apprentissage de la médecine par deux étudiants. Ça va très vite. Il y a parfois des situations très dramatiques et d'autres extrêmement drôles, sans jamais de vulgarité, sans que ce soit au détriment du patient ou du public. H c'est quoi ? Ce n'est pas une série sur la médecine, c'est Jamel, Eric et Ramzy qui font leurs conneries tout seuls. Si j'étais producteur je les engagerais mais pour jouer des rôles. Jamel est très bien dans Amélie Poulain mais il est dirigé, il a un rôle et il s'y tient.
Les séries françaises sont toujours centrées sur un concept et sur des “têtes” alors que les séries américaines sont toujours centrées sur l'histoire. Et la meilleure preuve en est que la plupart des séries américaines récentes, quand elles tournent autour d'un seul acteur très connu (Geena Davis, par exemple), ne fonctionnent pas. Dans Tout le monde aime Raymond, Ray Romano ne tire jamais la couverture à lui, et c'est pour ça que ça marche.

Et Jerry Seinfeld ?
Je n'aime pas trop Seinfeld. Bon, ça a marché mais c'est plus de l'ordre de la “stand-up comedy”.

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