[entretien: Martin Winckler]
[1] [2] [3]Docteur, journaliste, écrivain, notamment de La Maladie de Sachs, porté à l’écran par Michel Deville, Martin Winckler est également un spécialiste des séries télévisées il a publié plusieurs guides dont Histoire des séries télévisées en trois tomes.
Est ce que vous êtes de la famille de Henri Winkler ?!
[“Fonzie” dans la série Happy days, n.d.r]
(rire) Non ! En fait, c'est un pseudo qui vient de George Perec. Il a écrit plusieurs romans avec un personnage qui s'appelle Gaspard Winckler (et d'ailleurs ce n'est pas le même personnage dans les trois livres). C'est un nom de personnage dont l'identité est un peu douteuse. Quand j'ai décidé de prendre un pseudo, j'ai décidé de me rapporter à une certaine filiation littéraire qui est celle de Perec et donc j'ai choisi ce nom-là.D'où vous vient cette intérêt pour les séries ?
De l'enfance, comme tout le monde. Je n'étais pas collé devant la télé pourtant ! Quand j'avais 13 ans il y avait 2 chaînes. La deuxième diffusait l'après-midi et il y avait peu de programmes mais j'avais mes émissions préférées comme tout le monde. J'allais souvent au cinéma le dimanche avec mon frère. Je regardais la télé surtout le mercredi après-midi, il y avait Zorro, Thierry la Fronde, le dimanche en fin d'après-midi Le Prisonnier, Chapeau melon et bottes de cuir et Au nom de la loi le samedi soir, Mission : Impossible en cachette le mardi soir.
Donc ça vient de l'enfance, comme le cinéma, comme la bande dessinée. Je pourrais être critique de bandes dessinées, il se trouve que je suis critique de séries télé parce que l'occasion a fait le larron.Ne trouvez-vous pas que les séries françaises d'aujourd'hui ressemblent à des séries allemandes des années 70 ?
Vous êtes gentils ! (rires)Est-allemandes ?!
Je connais mal les séries est-allemandes ! Mais c'est vrai que les séries françaises sont très mauvaises. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'argent. Le savoir faire on l'a puisqu'on l'a au cinéma et c'est le même. En France, les gens du cinéma détestent la télé parce qu'elle est impure etc. Mais aux États-Unis les cinéastes et les gens de la télé sont les mêmes, ils bossent la main dans la main. La différence est dans le rythme de travail mais le travail en lui-même est le même. La preuve c'est que les Golden Globes sont attribués simultanément aux gens de télé et du cinéma. En France, le cinéma est noble et la télé est vulgaire. C'est l'opinion commune, non pas pour le public, mais les responsables des grandes chaînes de télévision ont encore dans l'idée que la télé est regardée jusqu'à 22h30 par des crétins. Premier préjugé. Deuxième préjugé : c'est l'idée que la fiction à la télé n'est que du divertissement, la télé c'est l'opium du peuple. J'ai un ami qui tente de gagner sa vie comme scénariste de télé. Il est donc obligé de bosser pour des trucs qu'il n'aime pas mais il tente de les renouveler. Par exemple il appelle sa productrice et lui dit qu'il a une idée pour Julie Lescaut. C'est l'histoire d'un assassinat mais d'un assassinat politique lié à une campagne électorale. La productrice lui répond : “Ça parle de campagne électorale ? Oui ? Alors on le fait pas parce qu'on est en campagne, les gens on leur en parle tout le temps c'est pas la peine qu'on leur en parle en plus dans une série !”. Aux États-Unis au contraire, ils réagissent tout de suite sur les événements sociaux et politiques. Le problème des élections l'an dernier : Law and order (une de mes séries préférées, New York District en français) dans un épisode encore inédit en France aborde le problème de la fraude électorale à l'occasion d'une élection locale pour un juge. Ils ont transposé les problèmes apparus lors de l'élection présidentielle (les cartes mal perforées) dans un épisode de la série. C'était une interpellation sur le système électoral américain car le vrai problème c'est que dans chaque État la manière de voter est différente, les bulletins ne sont pas identiques, les machines à voter ne sont pas les même, les fuseaux horaires… Ils ne se sont pas gênés pour prendre un problème lié à l'actualité et pour le traiter d'une certaine façon, différente de celles des journaux.En fait les personnages des séries françaises se réduisent à un seul : le justicier, déguisé en flic, en juge, en avocat, en médecin, en instit…
Exactement. Il y a un conformisme énorme. Fabien Cosma est une sorte de justicier. Un médecin ce n'est pas ça, il ne règle pas les problèmes sociaux comme le ferait Zorro mais dans les strictes limites de ses compétences.En France il y a des super héros, des justiciers mais sans aucun relief. Dans les séries allemandes récentes comme Le Clown, Medicopter, il y a des explosions, des effets spéciaux… Pourquoi est on si rétrograde, est ce à cause d'un blocage sur les 90 minutes ?
Il y a de ça mais pas uniquement. J'ai proposé une série qui s'appelle Toubibs et comme c'était une 6 fois 52 minutes on ne pouvait pas la proposer à TF1 dans la mesure où ils ne prennent que des 90. Enfin moi je peux très bien faire une 3 fois 90 c'est pas un problème ! Ou même une 60 fois 2 minutes et appeler ça “un infirmier, une infirmière” (rires) C'est un préjugé très commun en France de croire qu'un type qui écrit ne peut pas tout écrire, des 52, des 90 etc. Un journaliste qui refuserait d'écrire 15 lignes parce qu'il ne veut écrire que des 50 lignes serait viré tout de suite ! Un peintre refuserait qu'on lui impose de ne faire que des 20*30 cm. L'écriture est un outil et avec un outil on peut faire des tas de choses différentes. En France il y a trop de conformisme : “Faites-nous toujours la même chose, pas question de perdre du temps, de perdre de l'audience”. Pour Toubibs, avec ma co-scénariste, on est sûr que ça peut être très bien, très drôle avec une bonne équipe, des acteurs, un vrai collectif. M6 a été contacté mais Loft Story est passé par là, ça tombe donc à l'eau... On le propose alors à Laurence Bachmann, responsable de la fiction à France 2. Elle nous répond enfin par une lettre dans laquelle il y a ces trois points : a) Dans votre série médicale il y a trois personnages, ça ne nous intéresse pas, on préférerait un personnage central et récurrent, c'est plus original ! (rires) (genre Fabien Cosma sur France 3 ?!) b) On a déjà Urgences, ça fera peut-être double emploi ce à quoi je réponds : “et vous avez combien de séries policières ?” (rires) c) On ne cherche pas de fictions à 52 minutes. Cf. plus haut. Bon, à la limite on rejette mon projet mais moi je suis écrivain, La maladie de Sachs c'est un best-seller, est ce qu'on envoie balader Michael Crichton aux États-Unis ou est-ce qu'on cherche plutôt à travailler avec lui ? Est-ce qu'on a cherché à travailler avec moi, sur un autre projet ? Non. On ne cherche pas des créatifs. On cherche des gens qui écrivent ce qu'on veut qu'ils écrivent.
L'escroquerie française c'est de faire croire qu'il y a une compétition entre les chaînes. Mais sur une soirée il y a six programmes de nature différentes. Aux États-Unis, il y a six fois les mêmes types de programmes, des fictions récurrentes qui survivent ou meurent. Quand il y a un film sur TF1, France 2 programme un téléfilm, quand TF1 programme un magazine de divertissement, France 2 programme une émission d'actualité etc. Il y a une sorte de statu quo entre les chaînes pour que justement elles ne se fassent pas d'ombre. Pire que ça : à France 3 on m'a expliqué que la chaîne n'a pas le droit de faire plus d'audience que France 2 ! (rires) Ils sont donc “obligés” de programmer des choses qui feront nécessairement moins d'audience pour ne pas couler le vaisseau amiral France 2. Si au contraire ils étaient libres dans leur programmation il y aurait sans doute une émulation qui leur permettrait peut être de battre TF1.