[repères]

Fârid al-Dîn Attâr. (XIIIe) Écrivain persan, il est considéré comme l'un des grands poètes mystiques du soufisme. Son livre célèbre, Le langage des oiseaux, raconte que tous les oiseaux, connus et inconnus, se réunirent un jour pour constater qu'il leur manquait un roi. Exhortés par la huppe, messagère d'amour dans le Coran, ils décidèrent de partir à la recherche de l'oiseau-roi Simorg, symbole de Dieu dans la tradition mystique persane. Après un voyage plein de dangers, et après avoir parcouru les vallées du désir, de la connaissance, de l'amour, de l'unité, de l'extase etc., les trente survivants connurent l'ultime révélation : le Simorg était leur propre essence, jusqu'alors enfouie au plus profond d'eux-mêmes. Ce célèbre récit initiatique, entrecoupé de contes et d'anecdotes, demeure à jamais l'un des joyaux de la spiritualité musulmane. De son auteur, Attar, auteur du Livre divin, le grand Rûmî disait : «Il fut l'âme du soufisme, je ne fais que suivre sa trace.»

Djalâl ad-Din Rûmî. (XIIIe) Né à Balk, dans le Khorasan (actuel Afghanistan). En cherchant une méthode afin de parvenir à l'union avec Dieu, il rencontra un étrange derviche errant, Shams ad-Din Muhammad ibn'Ali, de Tabriz, en qui il reconnut l'envoyé céleste, son véritable maître. «J'étais neige, tu me fondis. Le sol me but. Brume d'esprit, je remonte vers le soleil.» En 1244, Shams vint s'établir à Konyah et Rûmî délaissa son enseignement pour vivre dans la solitude avec lui. Un jour Shams disparut et il fallut le chercher à Damas. Il revint, mais disparut à nouveau en 1247, assassiné, dit-on, par les disciples jaloux de Rûmî. Ce dernier s'était identifié avec Shams au point de signer de son nom le recueil d'Odes mystiques (Diwân-e Shams e-Tabrizi) et de se livrer exclusivement à la méditation et à la danse : «Plusieurs chemins mènent à Dieu, j'ai choisi celui de la danse et de la musique. Dans les cadences de la musique est caché un secret, si je le révélais il bouleverserait le monde.» Il fonda alors l'ordre des derviches tourneurs Mawlawiya (de Mawlânâ, le surnom de Rûmî, qui signifie “notre maître”) et rédigea son oeuvre majeure, le Mâthnawi, immense poème de 45 000 vers, véritable odyssée de l'âme qui doit mourir à son moi afin de vivre éternellement en Dieu.

Abu Nasr Muhammad Ibn al-Farakh al-Fârâbî. (Xe) Philosophe hellénisant du monde islamique, qui a tenté d'étayer la foi par la raison en affirmant le primat de la vérité philosophique sur la révélation. Pour lui, les vérités philosophiques sont universelles contrairement aux croyances des religions. Après avoir étudié la logique aristotélicienne, la grammaire, les mathématiques, la musique et la philosophie, Al-Fârâbî s'est installé à la cour de Sayf al-Dawla qui hébergeait les savants et les hommes de lettres de cette époque. Il est l'un des premiers penseurs musulmans à commenter et transmettre au monde arabe les doctrines de Platon et d'Aristote qui, selon lui, sont identiques. Pour cette raison, al-Fârâbî sera surnommé le “deuxième maître”, Aristote étant le premier. Son influence sera considérable sur des philosophes musulmans ultérieurs comme Avicenne, Avempace et Averroès.

Muhyi al-din Ibn al-'Arabi. (XIIIe) Mystique et visionnaire, originaire d'Andalousie. Il a laissé une empreinte profonde sur la tradition ésotérique et spirituelle de l'islam. Elle est synthétisée dans son monumental Livre des Conquêtes spirituelles de La Mekke dont il n'existe actuellement aucune traduction en langue européenne.

Ibn Khaldoun. (XIVe) Quand Il écrit sa Mugaddima, l'Europe n'a pas encore vu ni la parution du Prince de Machiavel, ni celle de Leviathan de Hobbes, car ces deux ouvrages paraissent respectivement un et deux siècle plus tard. Il aborda ainsi le problème du pouvoir du prince, la faiblesse de ce dernier due à la solitude, à son besoin d'amour de la part du peuple et à la nécessité de s'appuyer sur des liens forts, en particulier des liens claniques. Il est considéré par certains comme un précurseur des Lumières, chez qui nous pouvons observer l'émergence de l'idée de contrat social, avec les mêmes notions que supposera plus tard J. J. Rousseau.

Abû'Alî al-Hosayn Ibn Sinâ — Avicenne. (XIe) Il est un des plus fameux philosophes de la pensée Islamique. Au moment où foisonnent les prises de position et les théories sur l'image, le virtuel et le réel, il importe de rendre justice à celui qui fut le premier dans le monde à véritablement s'affranchir des dogmes contemporains ceux du christianisme iconoclaste notamment pour fonder une philosophie qui tout en restant conforme à l'abrahamisme, attribuait cependant une vie à ce que l'on nommera bien plus tard l'Imaginaire. À travers lui, les expériences intérieures de Thérèse d'Avila ou de Hildegar de Bigen se lisent avec simplicité et trouvent une correspondance facile dans la psychologie moderne. On doit à Avicenne la notion d'Imaginal, largement reprise par Henri Corbin puis, à sa suite, par Gilbert Durand et son école mais aussi largement exploitée par les penseurs jungiens tels que Pierre Solié et Michel Cazenave. Parler d'Image ou d'Imaginaire sans faire référence à Ibn Sinâ reviendrait à faire appel à la Raison sans parler de Socrate ou de Descartes.

Abû Wâlid Muhammad ibn Ahmad ibn Rushd — Averroès. (XIIe) Ses commentaires sur Aristote le rendront célèbre. Il consacre toute sa vie à l’œuvre du philosophe grec. Il cherche à en retrouver le sens originel en la débarrassant de toutes les interprétations faites jusque-là. Il se l'approprie avec assez de pénétration et de puissance pour construire un système qui porte sa marque personnelle. C'est à la question de l'origine des êtres qu'il s'intéresse le plus. Selon lui, Aristote prétend que rien ne vient du néant et que ni la forme ni la matière ne sont créées. Le mouvement serait éternel et continu : c'est la doctrine de l'éternité de la matière. Il distingue en l'homme l'intellect passif et l'intellect actif. Celui-ci se situerait au-delà de l'individu : il lui serait supérieur, antérieur, extérieur car il serait immortel. L'immortalité serait un attribut de l'espèce et non de l'individu. Cette distinction conduit Averroès à séparer radicalement raison et foi, les lumières de la Révélation n'étant accessibles qu'à l'intellect actif ; Thomas d'Aquin, en revanche, cherchera à les réconcilier, fondant la théologie comme science rationnelle. Ces doctrines philosophiques soulèveront des débats passionnés dans le monde chrétien et trouveront presque autant de disciples que d'opposants. La tendance à séparer la raison et la foi comme relevant de deux ordres de vérité distincts risquait de ruiner les efforts de ceux qui voulaient au contraire concilier, à travers Aristote, le savoir profane et la foi révélée. Les principes d'Averroès considérés comme dangereux seront finalement condamnés par l'Église en 1240, puis en 1513. C'est dire l'influence considérable du philosophe arabe en Occident, notamment dans les écoles médiévales. Condamné en son temps par la religion musulmane qui lui reproche de déformer les préceptes de la foi, Averroès doit fuir, se cacher, vivre dans la clandestinité et la pauvreté, jusqu'à ce qu'il soit rappelé à Marrakech, où il meurt, réhabilité, en 1198.